Audition romantique - Chapelle de la Cité du Barrage à Saint Montan - À vous de jouer

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Audition romantique - Chapelle de la Cité du Barrage à Saint Montan

Le piano a été très présent dans cette audition, car c’est l’instrument par excellence du romantisme, à la fois orchestral et solitaire, très coloré avec l’exploitation nouvelle depuis Chopin des extrêmes graves et aigus, virtuose (c’est le début des carrières de musiciens solistes tels que Clara Schumann, Chopin, Liszt, ou Paganini pour le violon) et intime. C’est l’instrument-roi de la classe qui domine le 19è, à savoir la bourgeoisie. Dans tout intérieur bourgeois, on trouve un piano, et toute la littérature importante est transcrite pour piano à 2 et 4 mains. C’est pour ça que nous ne trahirons pas l’esprit de l’époque en vous présentant un certain nombre de transcriptions. Il faut de plus bien avoir en tête que l’essentiel de la musique, même celle pour orchestre est d’abord pensée par les compositeurs au piano, et arrangée ensuite pour l’effectif souhaité.

Valse en ré bémol majeur (1829) de Frédéric Chopin
Chopin a écrit quatre ou cinq valses avant ses 20 ans qui verra son exil du pays natal, la Pologne. Celle-ci fait partie de ces œuvres qu’il n’a pas choisi d’éditer.
La valse est nouvelle, mondaine, en ce début de XIXè siècle. Mais celle de Chopin n’est déjà plus destinée à la danse, à part peut-être la troisième partie, d’une simplicité harmonique et de forme propre à séduire les salons de la haute bourgeoisie de Varsovie, ou Vienne. En effet les chromatismes qui se tordent gracieusement sous la mélodie du début, les modulations majeur-mineur, les enchainements d’accord de la deuxième phrase en font une œuvre à écouter, romantique et déjà très aboutie pour un musicien si jeune !

In der Fremde, (1842) transcription d’un lied de Robert Schumann : Célia, Julia, Chloé
Compositeur amoureux de littérature, Schumann découvre en écrivant ses lieder (« chant » en allemand) comment faire se rejoindre la voix tumultueuse, aux accords diminués et torturés du piano et la clarté heureuse et simple de la voix humaine. Les lieder de ce cycle sont certes ironiques et amers (ici, le chanteur se réjouit avec fougue de trouver le repos dans la mort !), mais traités avec un enthousiasme, une pureté toute romantique, toute en contrastes d’expression.

Petit Air, extrait de l’Album pour la jeunesse (1848) de Robert Schumann : Auxence, Aliénor, Benjamin
Robert Schumann a écrit un certain nombre de pièces pour les enfants, les siens d’abord (il en a eu 8), mais aussi en pensant aux élèves en général, peut-être à Auxence, Aliénor et Benjamin ! L’accordéon chromatique n’existait pas encore à cette date, mais les exercices de doigts pour la main gauche de ce petit air enfantin dans sa mélodie en noires sont aussi valables pour les jeunes accordéonistes !

Premier chagrin : Amélie
Derrière sa mélodie charmante, on trouve plusieurs systèmes d’écriture très schumaniens, l’alternance des deux mains, une opposition entre un passage en contrepoint, sorte de canon, et un passage en accord plus solennel et dramatique. Beaucoup de nostalgie aussi, bref, tout un poème en condensé racontant la tristesse versatile, capricieuse et passionnée des enfants ?

Fantäsiestück (1849) de Robert Schumann : Jonathan, Chloé
Le titre de Soiréestück conviendrait mieux car le climat de l’œuvre n’est pas fantastique. Ici aussi Schumann brise la forme de la sonate établie par les classiques Mozart, Haydn et Beethoven en faveur d’une imagination expressive et d’une conception poétique de l’œuvre. Construite comme une chanson, avec des couplets, le morceau exploite au mieux la sonorité nostalgique de la clarinette. Clarinette et piano se doublent parfois, ce qui est fréquent dans l’écriture de Schumann à la fin de sa vie, et qui tend à nous donner l’impression que c’est le piano qui chante, et la clarinette qui flotte au dessus comme une âme tendre, attentionnée et bienveillante. Elle s’arrête pour écouter des bribes de mélodie qu’elle reprend en écho ou développe avec passion. L’écriture du piano, avec ses perpétuels et obsédants triolets qui enflent et disparaissent comme une rivière de printemps est typique de Schumann, dont les œuvres ressemblent souvent à une pensée folle et douloureuse saisie au passage.

Le chant des prétendants (1870) d’Edvard Grieg : Christine, Magali
Les Vingt-cinq Chants et danses populaires norvégiens sont un cycle de pièces brèves pour piano d’Edvard Grieg, ici transcrits à 4 mains. Sa découverte en 1863 du folklore norvégien et de ses danses paysannes en fera toute sa vie un militant inépuisable d’un art musical national. Grieg n’a de cesse qu’il ne connaisse les innombrables mélodies authentiques qu’un autre musicien avait patiemment collectées et soigneusement publiées. Dans le même temps, il s’applique à retrouver les rythmes enjoués de ces ganger, halling et autres springar dansés par les paysans au son de cette curieuse et primitive viole d’amour appelée « hardangfiddle ». L’État norvégien le dégage de toute obligation, l’honore et en fait implicitement un ambassadeur artistique ! Mécéné par un état, vous imaginez la reconnaissance dont il fait l’objet ! Dans ce morceau, le chant populaire est reconnaissable par le rythme répétitif (croche pointée-double) de la mélodie constituée simplement de deux phrases qui se répètent, l’accompagnement en arpège comme une guitare ou lyre, la note de basse répétée pendant 7 mesures au début comme un bourdon de cornemuse, et l’aspect libre du rythme avec ses nombreux silences mesurés ou non.

Tibie païom (1878) de Piotr Illitch Tchaïkowski : Chorale
Bien qu’il ait reçu les leçons de composition de la tradition germanique, Tchaïkowski préférait les couleurs d’orchestre nettement contrastées, dans la continuité de Glincka, premier compositeur de musique vraiment russe de l’histoire, au début du 19ème siècle. Ainsi, il employait essentiellement les instruments aigus pour leur délicatesse, leur légèreté, mais en contrebalancement, explorait les couleurs plus sombres, voire lugubres des instruments les plus graves. Ses œuvres chorales sont peu nombreuses, mais dans celle-ci, on peut le voir exploiter les aigus des sopranes dans le passage modulant, donc celui qui crée la tension la plus forte et l’expression la plus intense, et les extrêmes graves dont les Russes sont les spécialistes pour apporter définitivement la paix à la fin de la pièce.
La musique de Tchaïkowski, reflet de sa nature hypersensible et tourmentée, est très personnelle et d’une infinie sensibilité que certains adorent et d’autres rejettent comme mièvre ! Cette œuvre qui va vous être chantée est issu de la messe la plus habituelle, la Liturgie de St Jean Chrysostome ; Elle est anecdotique dans sa production et se rattache à la musique religieuse russe, où le chant revêt une importance particulière dans la liturgie (orthodoxe). Ils sont compris comme prière à part entière ; ils ne doivent donc être « produits » que par les voix humaines. (L’utilisation des instruments n’est pas admise dans les Églises russes orthodoxes parce que les instruments ne peuvent prier)
Progressivement, imitant la pratique occidentale, des compositeurs non ecclésiastiques se mirent à écrire pour l’Église et leurs œuvres furent adoptées par l’Église russe enlevant souvent à son chant la sobriété qui sied à l’office divin, se plaint un théologien !

Petit extrait d’ Estudiantina (1883) d’Emile Waldteufel : Natacha, Magali
Durant le Second Empire, Waldteufel écrit de nombreuses danses qui le font connaître. Particulièrement apprécié par Eugénie, il devient directeur de la musique de danse de la cour impériale de Napoléon 3 et pianiste attitré de l’impératrice. L’orchestre de Waldteufel accompagne les bals des demeures impériales. C’est l’époque des opérettes, des vaudevilles bourgeois, des plaisirs d’une classe sociale riche, possédante et dirigeante qui se distrait sans se cultiver. (ça vous rappelle quelque chose ?)
On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec les valses archi-connues de Strauss fils.

Extrait de la Symphonie du nouveau monde (1893) d’Anton Dvorak : Benjamin, Denis, Kenan, Magali
Célèbre dans tout le monde musical, Dvorak le tchèque est nommé de 1892 à 1895 directeur du Conservatoire national de New-York. Le voyage des musiciens n’est pas une chose nouvelle, dès l’époque baroque, les artistes vont de ville en ville et de pays en pays pour leurs formation et leur carrière, mais les États-Unis sont nouveaux sur la carte du monde de la culture. Sa première œuvre composée aux États-Unis est la 9è symphonie dite « du Nouveau Monde ». Succès foudroyant qui ne se démentira jamais. Sa musique est colorée et rythmée, inspirée à la fois par l’héritage savant européen et par l’influence du folklore national tchèque mais aussi américain (le thème du 2è mvt que vous n’entendrez pas ce soir est issu d’un négro spirituals). On rattache Dvorak au fameux « printemps des peuples » de la deuxième moitié du 19è siècle, qui voit s’affermir les nations, le sentiment d’appartenance à un peuple ne correspondant pas aux frontières de l’époque, et à la mise en avant des spécificités culturelles de son histoire. Apparaissent les compositeurs russes, tchèques, norvégiens, hongrois, qui vont puiser, ranimer et magnifier le folklore jusque-là méprisé des campagnes.

Vocalise (1896) de Sergeï Rachmaninov : Françoise, Chloé

Cette dernière pièce est emblématique de ce dont nous vous parlions au début, à savoir l’art de la transcription. Écrite à l’origine pour une soprane ou un ténor accompagné au piano et chantée sur un « a » vocalisé (d’où le titre), elle a été transcrite pour tous les instruments possibles et imaginables, du tuba à la harpe (il ne doit manquer que l’harmonica, parce que je crois qu’une version à la guitare électrique a même été commise !). Tout le monde veut jouer cette pièce qui chante si bien et met tant en avant le lyrisme de l’interprète !
Du point de vue du style, Rachmaninov n’est pas réellement novateur : ses compositions restent complètement ancrées dans la tradition romantique du XIXe siècle, même s’il a tenté progressivement d’utiliser des accords plus riches, c’est-à-dire avec davantage de notes ensemble, donc davantage de dissonances. Son style est également très influencé par les chants russes de la religion orthodoxe. Une grande partie de son matériau pour la composer est inspirée de ces chants. Cette vocalise est constituée de trois immenses phrases modulantes et chromatiques, sans repos, une tension en appelant une autre plutôt qu’une résolution jusqu’à la fin qui s’envole et disparaît plutôt qu’elle ne se pose...